Le petit flambeau

L'Autriche vue par un universitaire français…

L’Autriche, paradis du secret bancaire… et du dopage ?

Le Wegschauen autrichienLe ‘Wegschauen’ expliquerait-il à la fois le traitement expéditif de l’affaire Fritzl, la tradition du secret bancaire et le problème du dopage en Autriche ?

Il y a un phénomène propre à la culture autrichienne dont je voudrais donner ici un aperçu, c’est celui du « Wegschauen », qu’on pourrait traduire littéralement par « l’art de regarder ailleurs ». Il se retrouve assurément dans de nombreuses sociétés mais il semble, dans le cas autrichien, qu’il soit bien développé et surtout institutionnalisé. Je l’ai évoqué dans deux précédents billets en marge de l’affaire Fritzl, au sujet, d’une part, des lois fixant les délais qui permettent en Autriche d’effacer les condamnations inscrites dans les casiers judiciaires et, d’autre part, à propos de la réaction des écrivains autrichiens à cette affaire. Dans un excellent article paru le 20 mars, au moment de la fin de l’affaire Fritzl, Maurin Picard a lui aussi évoqué ce  « Wegschauen » pour s’interroger sur tout ce qui n’a pas été abordé pendant le procès, tout ce qui a été soigneusement placé sous le tapis : le fait que l’homme avait été condamné pour viol, que l’administration l’a laissé adopter ses petits-enfants sans s’inquiéter du sort de la mère, le rôle de sa femme, qui n’a pas été abordé, ni celui d’éventuels complices pour l’aménagement de sa cave. Au contraire, comme l’an dernier, les journaux populaires ont titré sur l’image de l’Autriche, dénonçant les médias étrangers (voir aussi cette dépêche intéressante de William J. Kole, en anglais).

Récemment, l’Autriche a rejoint le Luxembourg et la Suisse dans les pages « économie » de la plupart des quotidiens : le principe du secret bancaire a été maintenu mais de peur de figurer sur la liste noire des paradis fiscaux, le pays a accepté « de fournir des informations bancaires si des soupçons justifiés et argumentés lui sont présentés, y compris en l’absence de procédure pénale», ainsi que l’a déclaré le ministre autrichien des Finances, Josef Pröll (et comme le rapporte l’AFP). Sur le principe, les Autrichiens ne se soucient guère de savoir d’où vient l’argent qui tombe sur les comptes de leurs banques et, c’est bien connu, l’argent n’a pas d’odeur (5,7% des fonds privés qui ont été déposés viennent d’autres pays européens que l’Autriche, selon le président de la banque nationale – ICI une très belle illustration de la défense du secret bancaire autrichien, par Pauline). Par contre, s’il s’agit de biens immobiliers ou de touristes, cela peut les gêner. Certains se sont ainsi émus du fait que de riches Russes achètent des villas ou des hôtels à Kitzbühel, la si prestigieuse station de sports d’hiver de la jet set. En 2007, un quota de 10% avait même été instauré pour ne pas être trop importuné par ces Russes aux allures tapageuses. Ce quota faisant tristement écho à d’autres pratiques locales, développées la fin du XIXème siècle, il fut abandonné (cf., pour la référence historique, ce livre de Frank Bajohr, Unser Hotel ist judenfrei’. Bäder- Antisemitismus im 19. und 20. Jahrhundert, Fischer Tb, 2003).

Le 24 mars dernier, c’était à nouveau le dopage en Autriche qui faisait la une des journaux, après l’arrestation de Walter Mayer, ancien entraîneur national de l’équipe de ski de fond. Aux JO de Salt Lake City, en 2002, des poches de sang et des seringues avaient été retrouvées dans les chambres des skieurs autrichiens et, sa responsabilité étant évidente, la fédération internationale de ski l’avait aussitôt suspendu à vie. Toutefois, le tribunal d’Innsbruck lui avait permis de reprendre ses activités dès 2004, même si le CIO l’avait déclaré persona non grata pour les jeux de Turin (2006) et Vancouver (2010). Repéré à Turin, les carabiniers l’ont manqué de peu puisque si Mayer a eu le temps de s’enfuir en voiture, il a dû à nouveau laisser de nombreuses pièces à convictions derrière lui. En état d’ébriété, il a fini par se réfugier dans l’antre de Jörg Haider, en Carinthie, à l’issu d’un accident de voiture qu’il a provoqué sur un barrage. Que croyez-vous qu’il arriva alors ? Et bien un « expert » l’a déclaré irresponsable au moment des faits (j’adore l’emploi du  mot « unzurechnungsfähig » en allemand !) et si cette fois-ci le président de la fédération autrichienne de ski l’a licencié sans délai… l’inaltérable Mayer a pu se faire embaucher pour former les soldats autrichiens, au centre sportif des armées de Graz ! Après cela, en 2007, l’homme a encore touché 290 000 € pour promettre de ne pas nuire à l’esprit olympique (cf. cet article de l’Equipe, pourtant le dernier des médias à publier ce genre d’informations).

Ne pas faire de vagues, trouver de beaux placards pour ceux qui se sont faits prendre la main dans le sac… et ne pas affronter les problèmes en face. C’est ça aussi le ‘Wegschauen’ appliqué au dopage. Cette façon de recaser les brebis galeuses, parfois grossièrement, fait écho dans mon esprit aux habitudes de l’église catholique dans le traitement des prêtres pédophiles : la plupart du temps, on les change simplement de paroisse, en vertu d’un art de la « tournante » propre aux us et coutumes du Vatican (cf. cet article de C. Fourest et F. Venner).

Deuxième et dernier exemple, qui me touche de près car cela concerne la course à pied (que je pratique), celui de Susanne Pumper : celle-ci a été convaincue de dopage à l’EPO lors d’un semi-marathon organisé le  mars 2008 par le LCC-Wien, un club qui organise des course au Prater, un grand parc à Vienne. Susanne Pumper était partie à mes côtés (ici mon récit de course), je me souviens très bien de sa mine renfrognée à l’arrivée, après les prises de sang. Athlète vedette du LCC, elle courrait donc à domicile et puisqu’elle faisait déjà l’objet de rumeurs, l’entraîneur du club, Wilhelm Lilge, avait demandé un contrôle inopiné aux instances de l’antidopage (la NADA, Agence Nationale Anti-Dopage). Là encore, que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut Wilhelm Lilge que l’on vira et Susanne Pumper qui fut promue, prenant en charge l’organisation du marathon d’automne du LCC (bien que suspendue au niveau national). Lorsque je suis intervenu dans les forums du quotidien Der Standard ou du LCC pour m’étonner de cette réaction, j’ai eu le droit à des insultes (sur le mode « rentre chez toi en France si t’es pas content !») mais aussi « en tous les cas on n’a pas de banlieues qui brûlent ni de président qui veut les nettoyer au Kärcher »… et même un surnom ! En réaction face à l’attitude du LCC, les organisateurs du marathon de Vienne ont lancé une série de trois semi-marathons placés à une semaine de ceux du LCC. Pour les coureurs, il était facile d’envoyer un message fort au LCC en participant plutôt à cette nouvelle série… mais là encore, le ‘Wegschauen’ a sévi et la majorité des coureurs à préféré courir avec l’organisation qui a recasé la dopée et renvoyé celui par qui le scandale est arrivé.

Le sujet est grave car le dopage ne concerne pas que les athlètes de haut niveau. Le ministre du sport, Norbert Darabos a donné la semaine dernière de nombreux exemples, comme celui de cette course, dans le Burgenland : 1500 inscrits, une annonce de contrôle anti-dopage quelques jours auparavant sur un forum… et aussitôt 400 désistements ! J’ai déjà vu une coureuse amateur se piquer avant un marathon (marathon de Barcelone) et d’autres ingurgiter une dizaine de cachets (Berlin). Pour celles et ceux qui le souhaitent, un engagement pour un sport sans dopage peut être signé sur le site du marathon de Vienne, où je vous attends !

PS/ Que ce soit clair, je ne prétends pas que le dopage soit l’apanage de l’Autriche ! Simplement, je connais mieux la situation du pays dans lequel je vis, je lis plus systématiquement la presse autrichienne ou du moins, petit Usbek en terre autrichienne, je suis plus étonné par ce que je découvre ici. D’ailleurs, concernant la France, pas plus tard qu’en janvier dernier, je n’hésitais pas à évoquer « la célèbre course à vélo des cobayes de l’industrie pharmaceutique » pour parler du tour de France (dans une recension concernant le festival d’Avignon publiée sur nonfiction.fr). Inutile donc de me ressortir la paille et la poutre et je publierai avec intérêt les informations qu’on voudra bien me communiquer sur d’autres pays. Quant aux JO, je me prononce depuis longtemps pour leur suppression (cf. une recension que j’ai publiée à ce sujet).

30 mars 2009 - Posted by | Autriche, Catholicisme, Sport | , , , ,

7 commentaires »

  1. Et tu oublies Hans Knauss, ex-skieur passe au travers d’un controle positif et maintenant commentateur a l’ORF. Par contre, je ne partage pas ton avis sur l’Equipe « dernier des medias » a publier ce genre d’informations: demande a Lance Amrstrong son avis sur la question

    Commentaire par Bertrand | 30 mars 2009 | Réponse

    • « L’Équipe ne veut plus parler dopage ». Cet article commence par « Fini le temps où L’Équipe pouvait s’en prendre à l’intouchable Lance Armstrong »… et je pense qu’ils ont raison d’écrire ça !

      Commentaire par segalavienne | 30 mars 2009 | Réponse

  2. Cote Fritzl et Kampusch, le lien est a etablir avec la loi sur les abris antiatomiques… qui a permis a ces braves gens de faire des amenagements souterrains. Ce qui est surprenant dans les deux cas est que la police n’a pas
    juge utile de visiter les lieux… je suis desole mais n’importe quel sonar permet de voir qu’il y avait
    des locaux souterrains de plus les investissements de ces braves gens sont aussi passes inapercu… bien curieux tout ceci !

    Commentaire par Seb | 30 mars 2009 | Réponse

  3. Je pense que la réaction autrichienne contre les attaques étrangères touchant l’Autriche ne me semble pas « anormale ». Dans chaque pays on retrouve une certaine auto-défense (p.ex: aujourd’hui les Américains sont furieux lorsqu’on dit qu’ils sont la cause de la crise financière).
    http://www.sueddeutsche.de/panorama/565/449294/text/
    En outre, les Anglais, où il y avait un cas similaire ont interdit de nommer le coupable soit-disant pour protéger les victimes, mais la raison est plutôt que les Britanniques ne veulent pas une attention médiatique comme pour le cas Fritzl, qui pourrait nuire à l’image de
    leur pays. Une telle restriction pour la presse est un « Wegschauen » plus institutionnalisé qu’en Autriche.

    Conclusion: Wegschauen est un réflexe commun , dans ce cas
    certainement lié avec un patriotisme (qui comme nous le savons peut être dangereux, si excessif)

    Au lieu de « Wegschaun », qu’on repère dans toutes les sociétés je dirais plutôt que « Verdrängen » est spécialement autrichien (au contraire de l’Allemagne par exemple) p. ex: rôle de l’Autriche pendant la Shoah, Autriche en tant que « erstes Opfer ». « Kurt Waldheim embodied the culture of amnesia, rising to become head of the United Nations and then president of Austria while « forgetting » what he did during the war. »
    http://www.guardian.co.uk/world/2009/mar/19/josef-fritzl-austria-society

    Commentaire par Nicole | 30 mars 2009 | Réponse

    • Oui, en gros je suis d’accord, merci pour ces commentaires et compléments. Seulement, comme le faisait remarquer Elisabeth Brainin avec beaucoup de justesse, lors du débat autour du film la mémoire des enfants, projeté en mémoire des 65 ans de la rafle du Vél d’hiv, « Verdrängen » (refouler) fait allusion à un phénomène inconscient. Comme si les auteurs de ce refoulement n’y étaient pour rien. Le Wegschauen (l’art de détourner le regard) me semble plus intéressant car il montre bien qu’il s’agit d’un processus actif. Parler de refoulement, c’est dans une certaine mesure disculper.

      Commentaire par segalavienne | 30 mars 2009 | Réponse

  4. Très intéressant, je suis tout à fait d’accord avec le « wegschauen ». C’est typique des petits pays, petits bourgeois où on veut que tout soit nickel à l’extérieur. J’ai lu le livre de Norman mailer sur
    l’enfance de Hitler dans la région de Linz. Il parle des incestes fréquents qui se passaient dans les familles. Pour lui, Hitler était le rejeton d’un double inceste.
    Par contre, je l’aurais pas mis directement en rapport avec le secret bancaire.
    C’est d’un autre domaine. Les affaires, ce ne sont pas les mêmes. Nous, on a aussi Monaco.

    Commentaire par Michel | 31 mars 2009 | Réponse

  5. Toujours ces préjugés sur l´Autriche franchement

    j

    Commentaire par demel | 31 mars 2009 | Réponse


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