Le petit flambeau

L'Autriche vue par un universitaire français…

Le Rideau déchiré ou un néolibéralisme aussi discret que redoutable

g4sburgLe Rideau déchiré est bien sûr un film d’Alfred Hitchcock (Torn Curtain, 1966) mais le rideau dont il s’agit ici est à la fois celui du théâtre et par métaphore celui devant laquelle l’Autriche aime se présenter. Vienne capitale culturelle, ses grands musées, ses prestigieuses salles de concerts, ses grands théâtres… Du 11 au 13 octobre, pour marquer les 125 ans du Burgtheater, un colloque se tenait autour du thème « De quel théâtre rêvons-nous ? ». Il y avait bien sûr de « grands » metteurs en scènes et d’encore plus grands acteurs et actrices (Klaus Maria Brandauer, Martin Wuttke), tous les directeurs du Burgtheater encore en vie et bien sûr des représentants politiques de très haut niveau, parmi lesquels le président de la république et la ministre de la culture. Vers 16h, le samedi 12 octobre, c’est un « petit ouvreur de rien du tout » (« billeteur » en allemand d’Autriche), Christian Diaz, qui est monté sur la scène, profitant d’une pause. Il a commencé à dénoncer le fait que depuis 1996 les 400 ouvreurs des théâtres nationaux n’étaient pas employés par le service public (que ce soit au niveau des théâtres, des collectivités territoriales ou du ministère) mais par une société privée tentaculaire spécialisée dans la sécurité, G4S.

 

Cette société, Group 4 Securior, est basée à Londres et emploie plus de 600 000 personnes dans le monde, dans plus de 120 pays. C’est le plus gros employeur coté en bourse en Grande-Bretagne. Vendant les services de véritables milices privées, elle est régulièrement mise en cause par les organisations défendant les droits de l’Homme. En Autriche G4S emploie 3000 personnes, essentiellement des agents de sécurité, en Grande-Bretagne et aux États-Unis l’entreprise gère des prisons. G4S assure aussi la sécurité en Cisjordanie occupée et ses agents sont responsables de la mort de migrants lors d’expulsions, comme dans le cas de Jimmy Mubenga.

Pour la première fois, en septembre 2013, l’État autrichien a décidé d’attribuer à une entreprise privée la gestion d’un centre d’hébergement. Devinez quelle société fut choisie, G4S bien sûr ! Le contrat de 68 millions d’euros a été signé pour une durée minimale de 15 ans. C’est à un ministre éminemment corrompu, Ernst Strasser, que G4S doit ses entrées dans les réseaux autrichiens. L’homme était ministre de l’intérieur du parti conservateur de 200 à 2004 pendant la coalition avec l’extrême droite, et il est entré dans le conseil de surveillance de G4S dès 2005, jusqu’en 2011. Le groupe mondial se servait alors des infrastructures d’u ministère pour former ses employés. Quand à Strasser, élu au Parlement européen il est tombé en disgrace après que des journalistes du Sunday Times l’ont piégé (vidéo à ne pas rater) : il a reconnu avoir agi comme lobbyiste à la Commission, empochant plus de 50 000 Euros par mois pour cinq « clients » qu’il  représentait. Il a été condamné en janvier 2013 à quatre ans de prison ferme mais son appel a été suspensif [addendum nov 2015 : il a finalement été incarcéré du 13 novembre 2014 au 28 mai 2015].

Pour l’Autriche, un des pays les plus riches de la planète, il n’y pas de petites économies, on applique le néolibéralisme à la lettre en confiant au secteur privé des activités propres à l’État, relevant du domaine de la culture ou du droit d’asile (honteusement assimilé à un problème de sécurité). Le 12 octobre, pendant quelques minutes, avant que le petit ouvreur soit maîtrisé, le rideau s’est un peu déchiré, mais peu de journaux s’en sont fait l’écho. The show must go on, sur la scène comme dans le reste du pays.

Sources et compléments

17 octobre 2013 - Posted by | Autriche | , , ,

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