Du passé faire table rase ?
En 2016, Hitler est encore gênant pour les autorités autrichiennes. Que faire de sa maison natale, à Braunau, non loin de Linz, en Haute-Autriche ? Depuis cinq ans l’État autrichien paye un loyer à une propriétaire peu scrupuleuse, simplement pour que cette dernière ne loue pas plutôt à des gens qui risqueraient d’attirer les néonazis et autres nostalgiques du Troisième Reich, comme c’était le cas jusqu’en 1989, avant que la stèle ci-contre soit apposée. Pendant longtemps la maison était louée par les autorités autrichiennes pour qu’une résidence pour handicapés occupe les lieux, mais la propriétaire a refusé les travaux qui auraient été nécessaires pour un fonctionnement conforme aux besoins des résidents. De ce fait, le gouvernement autrichien a décidé au Parlement l’expropriation de la locataire (avec dédommagement bien sûr), mais pour tenter d’exister politiquement face à l’encombrant ministre des Affaires étrangères (le sémillant Sebastian Kurz dont j’avais dressé le portrait), le ministre de l’Intérieur qui a en charge les questions de mémoire, Wolfgang Sobotka, a annoncé la veille de cette décision que la maison serait « rasée », alors même que la commission d’experts avait statué différemment. Les associations de victimes, elles, n’ont même pas été consultées. J’ai donné le mardi 18 octobre un entretien en direct à Fabienne Sintès (France Info) à ce sujet. Ci-dessous quelques notes que j’avais rédigées en guise de préparation.
– Que se passe-t-il en Autriche avec la maison d’Hitler ?
On assiste à une certaine cacophonie. Le ministre de l’intérieur, Wolfgang Sobotka, qui a en charge la politique de mémoire, a annoncé hier [lundi 17 octobre] que la maison natale d’Hitler, à Braunau, serait rasée. Cependant, plus tard dans la journée, le maire de cette ville a expliqué que rien de tel ne figurait dans l’avis rendu par les experts. A vrai dire, ces experts ont simplement suggéré de modifier complètement l’allure de cette maison de façon à ce qu’elle ne soit plus du tout attractive pour les néonazis qui souhaitent s’y rendre en pèlerinage, notamment le 20 avril, jour anniversaire de la naissance du « Führer ».
Dans tous les cas, le lien physique avec Hitler devrait devenir inexistant, mais la maison ne sera pas forcément « rasée » et le lieu symbolique utilisé par l’Etat.
– Comment se présente cette maison à l’heure actuelle ?
La maison d’origine est encore là. Elle date de 1826 sous sa forme actuelle et Hitler y est né en 1889. Devant, il y a depuis 1989 un petit monument, plutôt une plaque, sur laquelle on peut lire en allemand « Pour la paix, la liberté et la démocratie – plus jamais le fascisme – souvenons des millions de morts ». Jusqu’à ce que ce petit monument de 1m15 de haut soit installé, la ville servait vraiment de repère aux néonazis, on y vendait même des souvenirs à la gloire du dictateur.
Depuis cinq ans, pour ne pas qu’un projet qui puisse être favorable aux néonazis voie le jour, c’est l’Autriche qui paye un loyer pour que cette maison reste vide !
Une commission du Parlement autrichien va se réunir aujourd’hui pour préciser les modalités d’une éventuelle expropriation, préalable à toute réalisation.
– Et n’y avait-il pas un projet porté par la société civile ?
Si, des citoyens soutenus par des historiens et des personnalités du monde culturel souhaitaient que l’Etat fédéral transforme cette maison en une « maison de la responsabilité ».
Sur trois étages, le passé, le présent et le futur, des jeunes qui ont fait leur service civil autour des questions de mémoire pourraient travailler ensemble pour mettre en valeur les bonnes pratiques au regard du traitement du passé, analyser le présent (notamment les liens entre l’extrême droite et les néonazis) et poser les bases d’une société future résolument antifasciste.
– L’Autriche a encore un problème, aujourd’hui, avec son passé nazi ?
Oui. Les Autrichiens disent souvent qu’Hitler était allemand et Beethoven autrichien, en fait c’est bien sûr l’inverse, même si Hitler a fini par prendre la nationalité allemande et que Beethoven a résidé longtemps à Vienne.
En Autriche on a aussi du mal à admettre la surreprésentation des Autrichiens dans le nazisme : alors que les Autrichiens représentaient 8% de la population du Reich, ils constituaient 13% des SS, 40% du personnel des camps d’extermination… et 70% des services responsables de la logistique de la solution finale sous la direction d’Eichmann.
Après-guerre, le Parti des indépendants a repris la plupart des nazis qui ne pouvaient pas entrer dans les deux grands partis, les sociaux-démocrates et les chrétiens-conservateurs. C’est ce parti des indépendants qui est devenu le FPÖ, le principal parti d’extrême droite aujourd’hui crédité de 34% des voix dans des élections législatives, à 15 points devant les sociaux-démocrates, et c’est ce parti qui a obtenu 49,7% des voix le 22 mai lors des élections présidentielles. Le second tour de ces élections a été annulé, reporté une première fois au 2 octobre et finalement sujet à un problème technique, c’est le 4 décembre que les Autrichiens voteront à nouveau. D’ici-là, on risque d’entendre encore parler de la maison de Hitler car en Autriche, le passé a du mal à passer.
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