Le petit flambeau

L'Autriche vue par un universitaire français…

Encore et toujours : ce passé qui est occulté…

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A Vienne, les grands matchs de foot se jouent au Ernst-Happel-Stadion, du nom du joueur autrichien Ernst Happel (1925-1992) qui commença sa carrière en 1942 pour l’équipe du Rapide de Vienne. A côté, depuis juillet dernier, il y a une petite bicoque en bois vert de style préfabriqué, la Maison des échecs (« Schachhaus »), sur un espace baptisé Place Rudolf Spielmann. Une plaque commémorative retrace la vie de ce joueur d’échecs né à Vienne en 1883 et mort à Stockholm précisément en 1942, lorsqu’Ernst Happel commençait à tendre le bras droit dans les stades enthousiastes.

Cette plaque ne mentionne QUE les performances du joueur et ses qualités de jeu. PAS UN MOT sur les raisons de sa mort en 1942, ni sur le fait qu’il était juif. En mars 1938, Rudolf Spielmann était aux Pays-Bas, jouant un tournoi en simultanée. Ne pouvant pas rentrer en Autriche à cause de son passeport devenu obsolète, il s’est rendu à Prague pour y retrouver la famille de son frère. En décembre 1938,  il adresse une lettre désespérée au président de la fédération suédoise des échecs, l’implorant de lui trouver un moyen de l’accueillir dans ce pays.

Il écrit « l’essentiel est que je puisse fuir cet enfer de l’Europe centrale. L’antisémitisme se répand déjà largement à Prague et me met en danger de mort. Je vous supplie, depuis 30 ans maintenant que nous nous connaissons, d’accepter ma requête et de me répondre dans les plus brefs délais pour que je sache si je peux encore espérer. » (*)

En mars 1939, lorsque les nazis ont envahi Prague, Rudolf Spielmann a tout juste réussi à fuir mais son frère et ses deux sœurs ont été déportés. Seule Jenny, l’une de ses deux sœurs, a survécu, mais dans un état psychologique tel qu’elle a fini par se suicider en 1964. En Suède, le joueur d’échecs a vécu dans le dénuement le plus total. Les conditions de sa mort ne sont pas éclaircies mais la famille estime qu’il est mort de faim, abandonné de tous.

Ce n’est qu’à partir de 1964 que son nom a commencé à apparaître dans les textes abordant l’histoire des échecs en Autriche, alors que Spielmann était sans conteste le joueur le plus célèbre dans les années 1920-1930 (son livre Richtig Opfern /Savoir bien sacrifier, publié en 1935, fut très largement diffusé).

Comme d’habitude, découvrant cette plaque commémorative pour le moins lacunaire à mes yeux, je me suis rendu à la Ligue de Vienne des échecs pour en savoir plus. L’employé de permanence m’a dit que rien ne le dérangeait dans ce texte, qu’il fallait qu’on arrête avec cette époque, et il m’a d’abord renvoyé vers Michael Ehn qui a publié un ouvrage collectif sur Spielmann et qui, surtout, a prononcé un excellent discours le 10 juillet 2011, lors de l’inauguration de la place. Ce dernier m’a expliqué qu’il essayait depuis 30 ans de convaincre la Fédération autrichienne des échecs de faire enfin face à son passé. En vain. En hommage discret mais néanmoins sincère à Sisyphe, je me suis alors adressé au président de cette fédération. La réponse fut intéressante : on regrette que je trouve cette plaque lacunaire et, comme dans le cas de l’affaire Mahler (voir ce billet ou cet article), on m’explique que cette plaque a été vue par des Juifs très en vue et qu’ils n’ont rien dit (il évoque « des personnalités du monde juif contemporain à Vienne », « Persönlichkeiten des heutigen jüdischen Wien »). Ce ne sont pas moins que le président de la communauté juive en Autriche, Ariel Muzicant, et son adjoint Oskar Deutsch qui sont cités en guise de caution. J’ignore ce qu’ils pensent de cette plaque… et compte le leur demander de ce pas ! A suivre donc !

 27/10/11, réponse de M. Fastenbauer, secrétaire de la communauté juive (IKG) en charge des « affaires juives »: « on va s’en occuper » (« Wir werden uns weiter der Angelegenheit annehmen. »).  RELANCE de ma part le 23/11 => RIEN ! Deuxième relance le 10/1/2012…

Remerciements : Michael Ehn (qui tient ce magasin) pour les informations biographiques. Il a eu la gentillesse de me communiquer le discours qu’il a prononcé le 10 juillet 2011.

(*) La citation de Spielmann : „Die Hauptsache bleibt, dass ich aus dieser Hölle von Mitteleuropa endlich herauskomme. Der Antisemitismus macht sich auch schon in Prag breit und raubt mir jede Lebensmöglichkeit. Nochmals flehe ich Sie bei unserer 30-jährigen Bekanntschaft an, sich meiner anzunehmen und mir möglichst gleich zu antworten, damit ich weiß, ob ich noch hoffen darf.“

Bibliographie : Michael Ehn (Hrsg.): Rudolf Spielmann, Portrait eines Schachmeisters in Texten und Partien. Koblenz 1996. ISBN 3-929291-04-5

12 octobre 2011 - Posted by | Antisémitisme, Autriche, Mémoire, Nazisme, Sport | , , ,

2 commentaires »

  1. Si les français soient si correct sur la guerre en Algérie et mettront sur tout les coins à paris un plaque ou ils ont tué quelqu’un de FLN on serait content ; )

    Commentaire par haschka | 6 décembre 2011 | Réponse

    • Mais bien sûr, et c’est hélas depuis très récemment qu’on commence à parler du massacre du 17 octobre 1961 !
      Ich fürchte, es gibt hier ein Missverständnis. Ich meine ganz und gar nicht, dass in Frankreich alles Rosa ist. Ich signalisiere die Mangeln aus Vergangenheitsbewältigung in Österreich, weil ich Wien wohne, würde mich aber sehr freuen, Haschka, wenn du das auch für Paris machen würde.

      Commentaire par segalavienne | 6 décembre 2011 | Réponse


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