Des tissus qui tissent des liens / Good old lace without the arsenic
(
see below the English version)
Les relations économiques entre le Nord et le Sud sont souvent marquées par l’exploitation ou le néo-colonialisme. Le commerce ‘fair trade’, censé améliorer ces relations, n’est pas non plus exempt de critiques : demander aux pays du Sud de produire pour nous du café ou du chocolat en lieu et place de cultures vivrières, n’est-ce pas soutenir la dépendance des pays du Sud ? Et acheter de temps en temps un café ‘équitable’, sans se soucier, par exemple, de l’origine de nos appareils électroniques (ni des conditions de travail), n’est-ce pas se donner facilement bonne conscience ?
Dans le contexte de ces échanges Nord-Sud, il y a une histoire intéressante qui mérite d’être abordée, concernant l’Autriche et l’Afrique, plus précisément le Vorarlberg, province la plus occidentale du pays (370 000 habitants) et le Nigéria (160 millions d’habitants). Le Vorarlberg est devenu la quatrième région de production de tissus imprimés au monde et la moitié de sa production part au Nigéria ! Actuellement, 241 entreprises sont impliquées dans ce commerce, dont 114 employant 640 personnes. Ce commerce dont le chiffre d’affaire est de 650 millions d’euros (pour 621 tonnes) se fait essentiellement avec des femmes nigérianes, reçues avec déférence lors de leurs visites au Vorarlberg.
Cet échange entre les deux pays remonte à une cinquantaine d’années. Lorsque le Nigéria a obtenu son indépendance, en 1960, les autorités du pays ont cherché à établir des liens commerciaux avec des pays qui ne faisaient pas partie des puissances coloniales. Le conseiller économique de l’ambassade autrichienne au Nigéria, Heinz Hundertpfund, a eu l’idée de proposer aux Nigérians d’utiliser les machines du Vorarlberg pour fabriquer les tissus colorés qu’ils désiraient. Depuis cette époque, c’est la province autrichienne qui dépend économiquement de la demande nigériane. Les produits sont certes assez chers pour la population locale mais les bénéficiaires de la manne pétrolière parviennent à devenir de fidèles grossistes achetant leurs tissus dans les entreprises autrichiennes. Cependant, la concurrence est rude pour l’Autriche car la Chine, la Corée du Sud et l’Inde se sont lancées à l’assaut de ce marché et en moins d’un mois, un tissu produit en Autriche peut être copié et produit à grande échelle en Chine.
Durant un demi-siècle, ce lien entre l’Autriche et le Nigéria a acquis une dimension culturelle. Des photographes, modistes et autres artistes gravitent autour de ces échanges. Le musée des arts et traditions populaires de Vienne a d’ailleurs rendu hommage à cette culture nigériano-vorarlbergeoise en organisant l’hiver dernier une grande exposition intitulée ‘African lace’, montrant par là l’originalité des échanges entre les deux pays, du Nord et du Sud.
- Photo ci-dessus de Moussa Moussa : Modèle de Frank Osodi pour ‘House of Bunor’, veste de l’entreprise Ernst Bösch et robe de Karl Gächter (Lustenau)
- „Eine sehr spitze Geschäftsbeziehung“, Der Standard, 24 janvier 2011
- « African Lace. Österreichisches Stoffe für Nigeria« , exposition au Wien Volkskunde Museum
B. Gauquelin, « La broderie tient le boubou« , Libération, 23 mai 2013, p. 42-43
The economic relationship between North and South is often marred by exploitation and neo-colonialism. Even the so-called ‘fair’ trade is far from being immune to criticism: by having Southern countries grow coffee or chocolate for rich nations instead of producing food for themselves, fair trade advocates are reinforcing the dependency of the poorest countries. When we purchase fair trade coffee without wondering how and where our plasma TVs and computers are produced, purchasing fair trade is reduced to a cheap fix for a clean conscious.
Bearing this in mind, there is an interesting story to be told about Austria and Africa, more precisely between Vorarlberg, Austria’s west most province (with 370,000 inhabitants), and Nigeria (160 million). Vorarlberg has become the fourth largest lace-producing region in the world. Nowadays 241 companies are involved in lace production, including 114 firms employing 640 persons. Austria’s lace trade in Vorarlberg is valued at approximately 650 million EUR (621 tons) with Nigeria as its largest trading partner accounting for about half the trade. Austria’s Nigerian trading partners consist entirely of women, who upon arriving in Vorarlberg receive exclusive treatment (which is not the same as that which African asylum seekers usually receive in Austria!).
These economic ties date back to the early 1960s. When Nigeria gained its independence, in 1960, the country’s authorities wanted to avoid economic relationships with former colonial powers. The economic counselor of the Austrian Embassy, Heinz Hundertpfund, proposed the use of the Austrian textile industry for the Nigerian market. Since that time, it has been the Austrian province which has relied on the African country! The products are of course somewhat expensive but there is in Nigeria a part of the population which largely benefits from the oil production. Nevertheless, the situation for Austrian producers has destabilized: Nigeria’s currency has depreciated and Vorarlberg companies have suffered from unfair competition from China, Korea and India. Patterns which are shown in Lustenau fashion shows in can be copied and produced in China within the month.
Over the years, this exchange between Austria and Nigeria has acquired a cultural significance. An exhibition called ‘African lace’ has recently displayed the richness of this unusual exchange between Northern and Southern countries.
Complements
- „Eine sehr spitze Geschäftsbeziehung“, Der Standard, 24 January 2011
- « African Lace. Österreichisches Stoffe für Nigeria« , Exhibition at the Volkskunde Museum
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