Le petit flambeau

L'Autriche vue par un universitaire français…

Un droit des étrangers qui a de quoi faire trébucher !

Samedi 12 juin, 11h, en forêt viennoise, près du Jubilaümswarte. Mon ami Just me raconte ses ennuis du moment, à son boulot. Ingénieur centralien, il travaille dans un domaine à la frontière entre les technologies de l’information et les télécommunications, à l’université technique de Vienne. Il me dit que son supérieur a été sympa car il a convaincu le recteur de l’embaucher, ce qui dans son cas – ­ puisqu’il est togolais – ­ signifie ‘un grand engagement’. Pour le recruter, il a fallu prouver qu’aucun Européen de l’Europe des 15 ne pouvait mener ce projet à bien, que les Européens de deuxième classe (nouveaux entrants) ne convenaient pas non plus, ni les pays qui ont des accords spéciaux avec l’Europe, comme la Suisse ou la Turquie (cf. § 4b AuslBG Prüfung der Arbeitsmarktlage). De voir que mon ami Just acceptait ce traitement inhumain et trouvait ‘sympa’ le recteur, j’écumais de rage et me lançais dans un exposé pour démonter cette loi scélérate. Just me dit alors « oui mais tu sais, c’est beaucoup de responsabilité pour eux, mon permis de séjour dépend de mon boulot et ils sont responsables de moi. Si je fais une connerie, je suis envoyé au Togo et ce sont eux qui payent le billet d’avion. » Je n’en revenais pas et signalais à Just que c’était de toute façon une somme dérisoire dans le budget de l’université. Il a alors ajouté « oui mais ils doivent aussi payer le trajet aller-retour des trois policiers qui déportent les étrangers. » J’étais écœuré et partais sur la distinction entre égalité et légitimité pour convaincre Just que le recteur n’était pas ‘gentil’ de l’accepter mais simplement humain.

A ce moment-là, coup du sort, il devait y avoir une racine sur le chemin, je me suis étalé tout le long, face la première. Le menton saignait abondamment, j’avais quelques égratignures sur le torse (par 31°C je courais torse nu), un bras et une jambe. Deux randonneurs nous ont croisés… sans s’arrêter. Welcome in Vienna.

Compléments

1. Une histoire de mon ami Just, au sujet des différences culturelles. Il y a quelques semaines, nous avons dépassé une vieille dame qui tirait péniblement son chariot à provisions. Just, qui vit depuis neuf ans en Autriche, m’a dit « Tu vois Jérôme, chez nous au Togo c’est im-po-ssible de la laisser comme ça. Quels que soient ton boulot, tes rendez-vous, tu t’arrêtes et tu lui portes ses courses jusqu’à sa porte. Quand je suis arrivé à Vienne, je me suis arrêté deux fois, mais les vieilles ont eu peur, j’ai dû partir. »

2. Le trajet de notre belle sortie ! Il restait 7-8 km pour rentrer à la maison après la chute.

3. Rien de bien grave, j’ai été recousu sur les deux plaies du menton, dans l’hôpital qui fonctionnait avec une efficacité remarquable (je suis resté 20’ en tout, ils ont fait des radios etc.).

12 juin 2010 - Posted by | Uncategorized

2 commentaires »

  1. Ce qui me rappelle un souvenir. Buvant un verre avec Monsieur Paul, camerounais, une (très) vieille dame solitaire venant à passer. Lui, soudain, me demandant comment nous pouvions vivre ainsi. Et l’épouse d’un ami arrivant d’Afrique Australe à qui nous demandions ce qui l’avait le plus surprise dans nos pays d’Europe. Tant de gens qui vivent seuls, nous dit-elle.

    Commentaire par jean | 14 juin 2010 | Réponse

  2. A Paris, un de mes amis jeune trentenaire, de parents tunisiens, me racontent qu’il s’est fait contrôler par la police… Nous dissertons sur l’habitude du contrôle au faciès et il me dit : « Oui mais ce jour là j’étais en jogging, alors c’est normal que les flics me demandent mes papiers… » Ben voyons, un arabe en jogging, ça a toujours quelque chose à se reprocher…
    Conseille à ton ami Just de lire Loïc Wacquant, il comprendra comment il a intériorisé la stigmatisation dont il est victime…
    Nos beau discours sur l’égalité sont totalement inefficaces, car ils ne sont que des discours et pas des expériences vécues…

    Commentaire par Fesdjian Sophie | 5 septembre 2010 | Réponse


Répondre à Fesdjian Sophie Annuler la réponse.